La prestigieuse académie suédoise s’est prononcée. Le prix Nobel de littérature 2023 a été décerné, jeudi 5 octobre, au romancier, essayiste et dramaturge norvégien Jon Fosse.
L’auteur, âgé de 64 ans, est récompensé pour « ses pièces novatrices et sa prose qui donne voix à l’indicible », a déclaré le jury du Nobel à Stockholm.
Son œuvre écrite en « nynorsk », langue de l’ouest de la Norvège dont il est originaire, est composée de pièces de théâtre, de romans, de recueils de poésie, d’essais et de livres pour la jeunesse.
Jon Fosse s’est dit « bouleversé et quelque part effrayé » par le choix du comité Nobel. Il succède à la Française Annie Ernaux.
Le visage rondouillard serti d’un regard bleu scandinave, d’une barbe et de cheveux mi-longs blanchis par le temps, c’est un enfant des fjords né il y a 64 ans sur la côte ouest de la Norvège. Une région battue par les éléments naturels et dont il a gardé l’idiome, le « nouveau norvégien » (nynorsk).
Théâtre
Il grandit dans un milieu d’inspiration piétiste avec un grand-père quaker, pacifiste et gauchiste à la fois. Un piétisme dont le jeune Fosse s’éloigne, préférant se dire athéiste et jouer de la guitare dans un groupe, Rocking Chair, avant finalement d’embrasser la foi catholique sur le tard, en 2013.
Après des études littéraires, il fait ses débuts en 1983 avec « Rouge, Noir », un roman où un jeune homme règle ses comptes avec le piétisme. Le style, marqué par de nombreuses projections dans le temps et une alternance des points de vue, deviendra sa marque de fabrique.
Suivent, entre autres, « La Remise à bateaux » (1989), qui lui gagne l’estime de la critique, et « Melancholia » I et II (1995-96), une autre œuvre majeure.
Son dernier coup de maître, « Septologien » – sept chapitres répartis en trois volumes – exploite la rencontre d’un homme avec une autre version de lui-même pour soulever des questions existentielles avec, comme toujours, une ponctuation parcimonieuse et imprévisible.
Fosse vient au théâtre presque par nécessité : sans revenus réguliers, il accepte au début des années 1990 d’écrire le début d’une pièce, y prend goût et décide d’aller jusqu’au bout (« Quelqu’un va venir »).
Finalement, c’est ce genre qui lui assurera sa notoriété internationale. Après « Et jamais nous ne serons séparés » en 1994, s’enchaîneront « Un jour en été », « Rêve d’automne » ou encore « Je suis le vent ».
Rompant une pause d’une décennie, il se surprend lui-même en renouant avec le genre en 2021, avec la pièce « Sterk Vind » (non traduite).
Selon sa maison d’édition norvégienne Samlaget, ses textes ont été traduits dans une cinquantaine de langues et ses pièces produites plus d’un millier de fois dans le monde.
S’émancipant des règles classiques, il fait fi de l’intrigue, réduite à un strict minimum, et recourt à une langue simple et dépouillée où la clé de compréhension est dans le rythme, la musicalité et les pauses.
« J’écris de l’humain »
Ses personnages sont peu volubiles. Leurs phrases se répètent, à quelques changements infimes près, et restent en suspens. Ce sont les silences qui sont souvent lourds de sens et qui font que, même ensemble, les êtres restent seuls. « Je n’écris pas de personnages au sens traditionnel du terme. J’écris de l’humain », confiait Fosse en 2003 au Monde.
Dans ses pièces, « les éléments sociologiques sont présents : chômage, solitude, éclatement des familles, mais l’essentiel est ce qui est entre. Dans les interstices, les failles entre les personnages, entre les différents éléments du texte. Ça passe plus par les silences, par ce qui n’est pas dit que par ce qui est dit », disait-il.
Des failles, sa vie personnelle en est parsemée. Marié trois fois, ce père de six enfants a dû renoncer à la boisson après des ennuis de santé.
Bien qu’extrêmement difficiles à monter, ses pièces trouvent d’influents relais à l’étranger. En 2007, le Daily Telegraph le place au 83e rang dans un classement des 100 génies vivants.
Dans un pays qui a enfanté peu d’auteurs dont le succès ait franchi les frontières, hormis pour les romans policiers, on associe inévitablement Fosse à l’autre grand dramaturge national, Henrik Ibsen (1828-1906).
Mais il est sans doute plus proche de Samuel Beckett (1906-1989) qu’il admire. Comme en lui-même, il dit voir dans le célèbre Irlandais « un peintre pour le théâtre plutôt qu’un véritable auteur ».