La plus haute juridiction a tranché. La Cour de cassation a confirmé vendredi 28 juillet que le garde des Sceaux Eric Dupond-Morettiserait prochainement jugé par la Cour de justice de la République (CJR) pour des soupçons de prise illégale d’intérêts, une audience inédite dans l’histoire de la Ve République aux lourds enjeux pour la majorité.
Eric Dupond-Moretti garde toutefois « toute la confiance » d’Élisabeth Borne, a indiqué Matignon qui affirme « prendre acte » de la décision de la Cour de cassation.
Le ministre de la Justice est soupçonné d’avoir profité de sa fonction de ministre pour régler des comptes avec des magistrats auxquels il s’était opposé dans sa première vie d’avocat.
« Je suis d’abord à la tâche, vous l’avez vu et puis je répondrai le moment venu, chaque chose en son temps », a réagi devant la presse le ministre, en visite au Pontet (Vaucluse).
Éric Dupond-Moretti avait formé sept pourvois contre la procédure et un huitième contre l’arrêt d’octobre ayant prononcé son renvoi en procès.
La Cour de cassation valide l’enquête
Parmi les points litigieux soulevés, sur lesquels sa défense misait beaucoup, l’absence de notification au garde des Sceaux de son droit au silence lors d’une audience cruciale; le tri de documents par une greffière; le rôle de juge et partie attribué à François Molins, qui a quitté fin juin ses fonctions de procureur général près la Cour de cassation; les plaintes initiales des syndicats de magistrats et d’Anticor, présentées comme irrégulières…
Les deux camps s’attendaient à une décision plus favorable au ministre, par exemple un retour du dossier d’enquête aux magistrats instructeurs.
Mais la Cour de cassation a largement validé l’enquête, suivant intégralement les réquisitions formées par l’avocat général Frédéric Desportes lors de l’audience du 7 juillet.
Elle a expliqué dans un communiqué avoir principalement annulé une saisie de documents réalisée par une greffière lors de la perquisition de juillet 2021 au ministère, mais estimé que même sans ces éléments, l’arrêt de renvoi faisait état de « charges suffisantes » pour permettre un procès.
Sur le droit au silence du ministre, la Cour de cassation relève que la commission d’instruction de la CJR « a informé le ministre de (ce) droit lorsqu’il a comparu la première fois devant elle pour être interrogé », en juillet 2021.
« Cette notification vaut pour toute la durée de la procédure d’information conduite par la commission d’instruction » et n’avait donc à être renouvelée lors de l’audience de notification des charges d’octobre 2022, d’après la Cour.
Un avenir politique en question
Éric Dupond-Moretti « a confiance et l’audience à venir lui permettra de faire la preuve de son innocence », ont réagi dans une déclaration à l’AFP Me Patrice Spinosi et Rémi Lorrain, ses deux avocats.
Lors de cette audience, dans un délai qui pourrait se compter en mois, le ministre « s’expliquera sur les faits qui lui sont reprochés (…) pour défendre ses droits comme tout justiciable », selon ses avocats.
Les deux conseils ont estimé que les recours avaient « été jugés nécessaires par l’Assemblée plénière » de la Cour de cassation puisqu’elle a « expurgé » l’enquête de pièces litigieuses.
Après le « contrôle de la procédure d’instruction » par la Cour de cassation », « il appartient désormais à la Cour de justice de République de se prononcer sur le fond en reprenant l’intégralité de ce dossier », selon les avocats.
Cette audience et son issue pourraient remettre en question l’avenir politique d’Eric Dupond-Moretti, confirmé comme garde des Sceaux lors du récent remaniement gouvernemental.
La piste de la vengeance personnelle
Tout au long de cette information judiciaire ouverte début 2021, le ministre a répété n’avoir fait que « suivre les recommandations de son administration » en déclenchant des enquêtes contre des magistrats et dénoncé une instruction de la CJR à charge.
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Un premier dossier concerne l’enquête administrative ordonnée en septembre 2020 visant trois magistrats du Parquet national financier (PNF).
Ils avaient fait éplucher ses factures téléphoniques détaillées (fadettes) quand Éric Dupond-Moretti était encore une star du barreau, dans le but de débusquer une éventuelle taupe qui aurait informé l’ex-président Nicolas Sarkozy qu’il était sur écoutes dans l’affaire de corruption dite « Paul Bismuth ».
Le second dossier concerne l’enquête administrative contre un ancien juge d’instruction détaché à Monaco, Edouard Levrault, qui avait mis en examen un de ses clients quand il était avocat.
Éric Dupond-Moretti avait à l’époque critiqué ses méthodes de « cow-boy ». Aucun de ces quatre magistrats n’a été sanctionné.