Où sont les hommes ? Cette question qu’on pouvait se poser dans les cafés et restaurants des grandes villes russes l’année dernière à la même époque n’est plus d’actualité. Il y a un peu plus d’un an, ils étaient à peine installés en Arménie, en Géorgie ou en Asie centrale pour fuir la mobilisation partielle. Aujourd’hui de nombreux jeunes hommes ainsi que leurs proches sont rentrés en Russie, faisant le plus souvent profil bas. On ne sait pas combien ils sont à être rentrés, ni si ce retour est forcément définitif.
De notre correspondante à Moscou,
Même si certains de leurs proches ne sont pas tous rentrés en Russie, chez ces revenants, ce sont les mêmes formules : « entre deux maux, le moindre est celui qui est chez soi »
Sergueï a 37 ans et de ces six mois en Nouvelle-Zélande, il revient avec cette conviction : l’exil, ce n’est pas pour lui : « Au début, j’ai fait tout ce que j’ai pu pour m’intégrer, mais j’ai fini par réaliser que je n’avais pas d’avenir en Nouvelle-Zélande. Peut-être que si j’étais parti avec suffisamment d’argent, par exemple pour m’acheter une maison, j’aurais vu les choses différemment. Et puis on m’a offert un très bon travail à Moscou et tous mes doutes se sont envolés. En Russie, Les gens voient bien que la vie suit son cours, ils sont moins nerveux à propos de ce qu’il se passe. Tout le monde finit par se dire qu’après tout ce n’est pas la fin du monde. »
« Ce qu’il se passe… » Ce salarié dans le secteur des nouvelles technologies n’ira pas plus loin que ces mots pour décrire la guerre lancée par le Kremlin. Pourtant, sous la surface d’un pays indifférent qui vaque à sa vie quotidienne loin des bombes, Arseny Popov, assis à une table d’un café de la capitale, fait un autre constat : « Pour moi, le niveau de propagande a encore augmenté et j’ai le sentiment que la société est devenue bien plus polarisée. Certaines personnes sont devenues bien plus en faveur de la Russie et de ce qu’elle fait, d’autres vraiment encore plus contre. »
Croire à une apparente normalité
Rentré après des mois passés entre la Tanzanie, le Kazakhstan, la Thaïlande, lui aussi à cause du mal du pays et avec à la clé une offre de travail alléchante dans un pays qui manque de bras et de cerveaux, à 34 ans Arseny ne repartirait que pour une seule raison : « S’il y avait la menace d’une nouvelle mobilisation. Mais tout le monde nous a promis qu’il n’y aurait pas de nouvelle vague, et c’est ce qu’il se passe. Il y a beaucoup de volontaires qui vont au front, donc j’imagine qu’il y a suffisamment de personnes là-bas maintenant. »
C’est exactement le pari que fait le Kremlin. La guerre dans l’arrière-plan le plus lointain possible, mais ça ne suffit pas pour tout le monde et singulièrement pour Tatiana 35 ans, revenue de Russie pour mieux en repartir : « Je ne suis pas d’accord avec ce que la Russie fait en Ukraine, avec cette agression militaire. Et c’est devenu de plus en plus difficile d’exprimer ma position publiquement ; les lois sont devenues très dures. Alors au lieu de partir sur un coup de tête comme je l’ai fait, il y a un an et demi, cette fois, je planifie et je prépare mon départ. »
Tatiana ne sait pas encore si de sa future vie d’exilée, elle fera une vie de militante, mais elle a bien entendu le pouvoir menacer de manière répétée : « Ceux qui à l’étranger prendront position publiquement contre le Kremlin et sa politique se verront fermer les portes s’ils souhaitent rentrer. »