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Oxycodone : Que Se Passe-t-il Avec Cet Opiacé en France ?

Un rapport pointe des prescriptions deux à trois fois plus nombreuses en Bretagne et en Nouvelle-Aquitaine de l’antidouleur à l’origine de la crise des opioïdes aux États-Unis. Décryptage.

Mais que se passe-t-il donc en France avec l’oxycodone ? Dans son dernier avis, la Société française de pharmacologie et de thérapeutique (SFPT) pointe « une augmentation inquiétante de l’utilisation de l’oxycodone dans la prise en charge de la douleur ». Et cela résonne comme une alerte aux oreilles des spécialistes de l’addiction, qui tentent de comprendre cette hausse inattendue.

En effet, l’oxycodone n’est pas un médicament anodin. Il s’agit de l’antidouleur proche de la morphine à l’origine de la crise des opioïdes qui ravagent les États-Unis depuis les années 2000. Outre-Atlantique, la grande majorité des personnes dépendantes aux opioïdes ont une chose en commun : elles ont d’abord utilisé de l’oxycodone – commercialisé sous le nom d’OxyContin – sur les conseils de leur médecin dans le cadre de prescriptions visant à soulager leurs douleurs.

Lors de son lancement dans les années 1990, ce nouveau médicament a bénéficié d’une campagne marketing redoutablement efficace, le faisant passer pour un antidouleur plus puissant que la morphine avec un risque très faible d’addiction. La suite de l’histoire a malheureusement démontré le contraire. Aujourd’hui, comme l’écrit la SFPT, il n’y a plus « aucun argument pour préférer la primo-prescription d’oxycodone par rapport à la morphine », d’autant plus que l’oxycodone serait « associé à un profil plus addictogène ».

Une hausse de 25 % des prescriptions

C’est dans ce contexte que la SFPT s’inquiète d’une hausse de 25 % des prescriptions entre 2017 et 2021 en Nouvelle-Aquitaine. Les chiffres sont impressionnants : en 2021, la région comptait plus de 900 utilisateurs pour 100 000 habitants, soit deux fois plus que la moyenne française (460 pour 100 000) la même année. La Bretagne, elle, bat tous les records avec un taux de 1 255 utilisateurs pour 100 000 habitants.

« On voit apparaître un gradient est-ouest des prescriptions. En région lyonnaise, les prescriptions d’oxycodone sont par exemple largement sous la moyenne nationale avec environ 200 utilisateurs pour 100 000 habitants. Mais plus on se rapproche de l’Atlantique, plus les taux augmentent », détaille le Pr Nicolas Authier, psychiatre, spécialisé en pharmacologie et addictologie au CHU de Clermont-Ferrand, à la tête du Centre d’évaluation et de traitement de la douleur.

Nous sommes en train d’éplucher les chiffres pour comprendre si le plus grand nombre de patients exposés à l’oxycodone dans l’Ouest s’explique par une plus faible utilisation de la morphine. Ainsi, le nombre de personnes globalement traitées avec des opioïdes serait peut-être le même qu’ailleurs, mais avec une particularité régionale qui fait que l’on prescrit plus l’un que l’autre », poursuit le spécialiste.

Contre l’arthrose ou les lombalgies

Au total en France, environ 300 000 Français reçoivent au moins une ordonnance d’oxycodone dans l’année. À titre de comparaison, ce chiffre est de 400 000 pour la morphine. Entre 2012 et 2018, le pays a connu une augmentation des prescriptions d’oxycodone principalement pour des indications de douleurs chroniques non liées au cancer.

« Or, les preuves d’efficacité sont les plus faibles et les risques les plus élevés dans les cas classiques de douleurs chroniques comme celles liées à l’arthrose du genou ou de la hanche, aux neuropathies ou aux lombalgies chroniques. À force d’utiliser le médicament, il marche de moins en moins bien, le patient en prend de plus en plus et il a de plus en plus de mal à l’arrêter », reprend le Pr Authier. Depuis, 2018, le message semble être passé sur ce type de prescriptions et les chiffres se sont stabilisés… sauf dans l’Ouest.

Un problème qualitatif plus que quantitatif

Mais pourquoi la Nouvelle-Aquitaine ou la Bretagne seraient-elles si friandes d’oxycodone ? Le Pr Authier évoque la piste d’une « formation médicale universitaire ou continue qui diffère dans ces régions et qui débouche sur des habitudes de prescriptions locales plus fortes ». L’addictologue évoque également l’hypothèse d’une « plus grande efficacité des forces de vente du laboratoire pharmaceutique » sur ces territoires incitant à augmenter les prescriptions. De son côté, le Dr Jean-Michel Delile, président de la fédération Addiction, souligne que « la région Aquitaine est connue pour s’être emparée du traitement de la douleur de manière très active. Cela explique sûrement en partie ces chiffres très au-dessus de la moyenne ».

Mais les deux spécialistes s’accordent sur un point : en France, le problème de l’oxycodone reste « plus qualitatif que quantitatif ». Plus encore que la hausse des chiffres, l’important est bien de savoir à qui l’oxycodone est prescrit, pour quels types de douleurs, et surtout pour quelle durée. Car le vrai challenge est de s’assurer que les différentes options médicamenteuses du traitement de la douleur sont utilisées à bon escient tout en sécurisant les risques de dépendance. Si l’intérêt de l’oxycodone demeure réel pour les patients qui ne tolèrent pas bien la morphine, la France doit à tout prix éviter de voir la situation s’emballer, avec des prescriptions en hausse et des patients faisant renouveler leurs ordonnances en changeant de médecin.

Mais nous sommes très loin d’une situation à l’américaine. « Depuis 7 ou 8 ans, nous recevons des patients qui perdent le contrôle avec l’oxycodone, souligne Jean-Michel Delile. Leurs profils sont très différents des autres patients. Ils appartiennent souvent aux classes moyennes ou supérieures, ce sont souvent des femmes très insérées socialement. Si le nombre de cas s’est un peu renforcé, il n’y a pas du tout d’alerte générale. »

La consommation d’oxycodone et de morphine reste en deçà des opioïdes dits « faibles », au premier rang desquels le tramadol. Bien plus facile d’accès, sa prescription a très nettement augmenté ces dernières années pour atteindre plus de 7 millions de consommateurs en 2021.

La Source : Lepoint

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