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Législatives en Pologne : Le Parti Droit ET Justice ET L’Obsession du Grand Méchant Allemand

Au bout du fil, l’homme a un accent allemand à couper au couteau. Il s’adresse à Jarosław Kaczynski, chef du parti Droit et justice (PiS) au pouvoir en Pologne, stoïque et assis dans un fauteuil. Souhaite-t-il parler au chancelier Olaf Scholz de l’âge de la retraite en Pologne ? « Vous n’avez plus affaire avec Donald Tusk », répond l’homme fort du PiS avant de raccrocher sans un au revoir.

Le message de ce spot électoral, qui fait le tour des réseaux sociaux depuis un mois, est clair : la Pologne dirigée par le parti Droit et justice n’est pas à la botte de Berlin, contrairement à ce qui se passerait si le bloc centriste Coalition civique, emmené par Donald Tusk, triomphait lors des élections législatives du 15 octobre.

Cette vidéo symbolise aussi l’un des principaux thèmes de campagne développés par Jarozslaw Kaczynski pour discréditer son principal adversaire : l’antigermanisme. L’ombre de Berlin semble obséder les stratèges du PiS. « Un autre exemple très parlant est une pancarte sur laquelle on peut voir Donald Tusk et [l’ex-chancelière allemande] Angela Merkel avec le slogan ‘En route pour Berlin' », souligne Félix Krawatzek, spécialiste de la Pologne et des questions de génération au Zentrum für Osteuropa- und internationale Studien (Centre d’études sur l’Europe de l’Est et les affaires internationales).

Telewizja Polska, la télévision publique polonaise « très progouvernement diffuse régulièrement des images montrant Donald Tusk parler allemand ou en compagnie de politiciens allemands », souligne le Financial Timesqui, dans un article publié mercredi 4 octobre, affirme que l’Allemagne est devenue l’alpha et l’omega du plan de bataille électoral du PiS.

« C’est peut-être un peu exagéré. Faire de l’Allemagne le grand méchant est certes un thème central mais au même titre que l’immigration et les questions de sécurité liées à la guerre en Ukraine », résume Félix Krawatzek.

Ce qui surprend les observateurs n’est pas tant la critique de l’Allemagne, « qui est un ressort utilisé depuis longtemps par le parti de Kaczynski, que l’intensité avec laquelle le parti Droit et justice tape sur son voisin durant cette campagne », affirme Kai-Olaf Lang, spécialiste de l’Europe centrale et de l’Est pour l’Institut allemand pour les affaires internationales et la sécurité (Stiftung Wissenschaft und Politik, SWP).

Historiquement, l’antigermanisme a toujours été un filon que le PiS a su exploiter. Ainsi, les demandes depuis plus d’une décennie autour des réparations de guerre allemandes sont censées dépeindre le parti Droit et justice comme le chevalier blanc des intérêts polonais face au grand méchant allemand qui fait du tort à son voisin. Encore en 2022, le gouvernement polonais a réclamé à Berlin 1 300 milliards d’euros en dédommagement pour les torts causés à la Pologne par le IIIe Reich.

Tusk, « agent de l’Allemagne »

En 2005, Jaroslaw Kaczynski a aussi exploité politiquement les prétendus liens entre Donald Tusk et l’Allemagne. « À l’époque, il avait tenté de le discréditer en affirmant que son grand-père avait été soldat pour la Wehrmacht. C’était complètement faux mais permettait de suggérer que Donald Tusk n’était pas un bon Polonais », rappelle Piotr Buras, spécialiste de la Pologne au Conseil européen pour les relations internationales (European Council on Foreign Relations, ECFR).

Mais la fréquence des attaques a atteint cette fois-ci des niveaux inédits. C’est probablement parce que la carte du grand méchant allemand représente une sorte de passe-partout électoral dans cette campagne, estime Piotr Buras.

D’abord, elle permet de « jouer sur l’émotion, ce qui est important pour mobiliser durant une campagne », assure ce spécialiste. Les souvenirs des blessures de la Seconde Guerre mondiale sont toujours vivaces pour une partie de la population, et agiter l’épouvantail d’un puissant voisin qui aurait des visées hégémoniques peut effrayer certains électeurs et les pousser à voter pour le parti qui se présente comme le rempart face à Berlin.

Ensuite, l’arrivée de Donald Tusk comme principal adversaire dans l’élection a été une sorte de bénédiction pour la rhétorique antigermanique du PiS. Le profil de cet ancien président du Conseil européen (2019-2022), dont les bonnes relations avec Angela Merkel sont connues, offrait une occasion en or aux propagandistes du parti Droit et justice.

Ceux-ci cherchent à faire passer Donald Tusk pour un agent de Berlin et donc de Bruxelles. « Dans l’esprit d’une partie de l’électorat polonais, l’Allemagne, c’est l’Europe, et l’Europe, c’est l’Allemagne », explique Piotr Buras. Autrement dit, voter pour Donald Tusk reviendrait à faire entrer le loup européen dans la bergerie polonaise. De quoi résonner avec la frange eurosceptique de l’électorat polonais.

L’épouvantail allemand permet aussi de tirer un trait imaginaire entre Donald Tusk et… la Russie. L’un des grands thèmes des nationalistes polonais est de dire que la politique trop accommodante de l’Allemagne envers la Russie n’a pas permis d’empêcher la guerre en Ukraine, démontrant que la Pologne, plus ferme face à Moscou, a toujours eu raison.

De ce fait, voter pour Donald Tusk, « l’ami des Allemands », reviendrait à soutenir « le retour d’une Pologne trop naïve face à la Russie », résume Karl-Olaf Lang.

L’ombre des extrémistes de Confédération

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Ressasser une rhétorique anti-allemande vise aussi à mobiliser son électorat. Le PiS « sait qu’il a peu de chance de convaincre les plus jeunes – qui ne sont pas, dans leur majorité, anti-allemands – de voter pour lui. En revanche, le parti craint que ses électeurs traditionnels n’aillent pas voter pour lui le 15 octobre », souligne Félix Krawatzek.

La formation rabâche d’autant plus ce discours qu’elle sait qu’elle a une concurrence à sa droite. « Le mouvement d’extrême droite Confédération peut, à plus ou moins long terme, siphonner des voix au PiS », note Piotr Buras. En tapant sur l’Allemagne, Jaroslaw Kaczynski cherche à démontrer à cet électorat qu’il représente le meilleur « défenseur des intérêts nationaux polonais », précise Félix Krawatzek.

L’omniprésence de l’Allemagne dans la campagne semble indiquer que sans cet argument, le PiS se retrouverait fort démuni. Mais est-ce que cela va suffire ? Le rassemblement de centaines de milliers de Polonais dans les rues de Varsovie, dimanche 1er octobre, pour s’opposer à la politique du PiS a montré qu’il y avait aussi une envie de changement au sein de l’électorat polonais.

« C’est une campagne très ouverte [le PiS mène dans les sondages avec 35 % des intentions de vote contre 25 à 30 % pour Donald Tusk, NDLR], et ces attaques répétées peuvent aussi mobiliser les électeurs libéraux qui ne veulent pas de tensions encore plus fortes avec l’Allemagne », estime Karl-Olaf Lang.

Car le risque est que cette campagne anti-allemande « laisse des traces au-delà de l’élection », craint Félix Krawatzek. « Il est clair qu’il va être difficile de restaurer la confiance entre la Pologne et l’Allemagne après tout ça », conclut Karl-Olaf Lang.

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