Les contrôles de police au faciès existent-ils ? Oui. Faut-il contraindre l’État à y remédier ? Ce n’est pas notre rôle. C’est en substance ce qu’a décidé mercredi 11 octobre le Conseil d’État, saisi d’une première action de groupe sur ce dossier ultra-sensible.
Six ONG et associations dont Amnesty international, Human Rights Watch ou encore Open Society Justice Initiative soutenaient, dans cette requête inédite contre les contrôles au faciès, que la pratique est « inscrite profondément dans l’action policière au point que la discrimination qu’elle constitue est systémique ».
Ces ONG demandaient donc au Conseil d’État de contraindre les autorités à prendre une série de mesures, inspirées d’expériences menées à l’étranger, allant de la délivrance d’un récépissé après chaque contrôle à la modification du Code de procédure pénale pour interdire la discrimination dans les contrôles d’identité.
Pas des cas isolés
« Il ressort de l’instruction que la pratique de ce type de contrôles existe et ne se limite pas à des cas isolés. Si elle ne peut être considérée comme ‘systémique’ ou ‘généralisée’, cette pratique constitue néanmoins une discrimination pour les personnes ayant eu à subir un contrôle sur la base de caractéristiques physiques associées à une origine réelle ou supposée », écrit le Conseil d’État dans un communiqué accompagnant sa décision.
Toutefois, « il n’appartient pas au juge administratif de se substituer aux pouvoirs publics pour déterminer une politique publique ou de leur enjoindre de le faire », poursuit-il. « C’est pourquoi le Conseil d’État rejette le recours ».
Les mesures que réclament les ONG « visent en réalité à une redéfinition générale des choix de politique publique en matière de recours aux contrôles d’identité », ce qui n’est pas du ressort du Conseil d’État, se justifie la plus haute juridiction administrative.
Vingt fois plus de chances d’être contrôlé
Le Conseil d’État « met ainsi les pouvoirs publics devant leurs responsabilités » car « il est dorénavant impossible de parler de cas isolés », ont réagi les requérants, dans un message transmis à l’AFP.
Mais malgré le « constat d’une discrimination collective caractérisée », la juridiction administrative a botté en touche, rendant de facto « possible une telle discrimination raciale », ont-elles également déploré.
L’existence des contrôles au faciès est largement documentée depuis des années. En 2017, le Défenseur des droits avait conclu qu’un jeune homme « perçu comme noir ou arabe » avait vingt fois plus de chances d’être contrôlé que le reste de la population.
Ces contrôles au faciès – l’Assemblée nationale les avait estimés à 14 millions par an en 2016 – « ne sont pas un simple problème de politique publique, c’est un fléau », avait plaidé le 29 septembre devant le Conseil d’État Me Antoine Lyon-Caen, représentant les six organisations.
Les requérants, qui « n’accusent pas les policiers pris individuellement d’être racistes », demandaient des « mesures nécessaires pour remédier » à ces pratiques « illégales au regard du droit français (…) et international ».
La France rappelée à l’ordre
La France a été plusieurs fois condamnée ces dernières années sur ce sujet : en juin 2021 par la Cour d’appel de Paris ou encore en 2016 par la Cour de cassation, qui avait pour la première fois condamné définitivement l’État pour faute lourde.
Le président de la République, Emmanuel Macron, avait lui-même reconnu le 4 décembre 2020 l’existence des contrôles au faciès, après le tabassage du producteur de musique noir Michel Zecler, provoquant une levée de bouclier des syndicats policiers.
Douze mois pour rendre le matricule des policiers lisible
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Afin d’améliorer la « traçabilité des contrôles », les requérants demandaient également que les policiers portent systématiquement un numéro de matricule, théoriquement obligatoire mais dont l’absence n’est jamais sanctionnée.
Dans une décision distincte, également rendue mercredi, le Conseil d’État a cette fois ordonné au ministère de l’Intérieur de rendre effective cette obligation, en s’assurant une « lisibilité (…) suffisante pour le public » de ce numéro « RIO ».
« Le ministre de l’Intérieur n’a pas pris les mesures propres à assurer l’effectivité du respect par les membres des forces de sécurité intérieure de l’exigence de port effectif et apparent de l’identifiant individuel », a indiqué la plus haute juridiction administrative. Le Conseil d’Etat a donné douze mois au ministère de l’Intérieur pour se conformer à sa décision.
Il s’agit « de favoriser des relations de confiance entre les forces de sécurité intérieure et la population et d’assurer, dans l’intérêt de tous, l’identification des agents », a indiqué la juridiction, rappelant que « la réglementation en vigueur exige que les policiers et gendarmes portent, sauf cas particuliers justifiés par leurs missions, un numéro d’identification individuel visible sur leur tenue ».