Le produit intérieur brut par habitant est très inférieur dans les principaux pays avancés à ce qu’il est aux États-Unis. Si l’on prend comme référence l’année 2019, dernière année avant l’enchaînement des crises sanitaire et inflationniste liées à la COVID-19 et à la guerre en Ukraine, l’écart apparaît important. Concernant les cinq plus grands pays européens de la zone euro, l’écart avec les Etats-Unis serait ainsi d’environ 28% pour la France, 16% pour l’Allemagne, 35% pour l’Italie, 37% pour l’Espagne et 10% pour les Pays-Bas (voir graphique ci-dessous). Dans les cinq pays, cet écart s’explique comptablement, sous des hypothèses usuelles, par une plus faible durée du travail et une moindre productivité globale des facteurs. Il s’explique également par un taux d’emploi de la population en âge de travailler (de 15 à 64 ans) plus faible en France, en Italie et en Espagne, ainsi que par un niveau plus faible d’immobilisations productives par heure travaillée en Italie et en Espagne, et une démographie plus avantageuse en France. Plus avantageuse car si la proportion de la population en âge de travailler dans la population totale y est plus faible qu’aux États-Unis, c’est du fait d’une natalité plus dynamique et donc plus favorable à la croissance à long terme.
Comparée à d’autres pays avancés, la France pâtit d’un faible niveau de PIB par habitant
Ces quelques chiffres montrent tout d’abord que les cinq grands pays de la zone euro, comme d’ailleurs la zone euro dans son ensemble, pourraient élever considérablement leur produit intérieur brut, et donc leur niveau de vie moyen, en rattrapant le niveau de productivité observé aux États-Unis. Sur l’ensemble de la zone Euro, le gain pourrait être ainsi d’environ 13%, ce qui est considérable. Un tel objectif n’est pas inatteignable, puisqu’il s’agit seulement d’un rattrapage du niveau existant aux Etats-Unis. Mais il appelle des réformes ambitieuses concernant la diffusion des technologies, le coût de la prise de risque entrepreneurial, l’éducation…
Ce type de comparaison peut aussi être mené entre la France et ses principaux partenaires économiques de la zone euro qui bénéficient d’un produit intérieur brut par habitant supérieur au sien, ici l’Allemagne et les Pays-Bas. Les enseignements d’une comparaison avec la Finlande ou avec les pays nordiques et scandinaves hors zone euro (Danemark et Suède par exemple) sont les mêmes que ceux que l’on tire de la comparaison avec l’Allemagne et les Pays-Bas.
Le produit intérieur brut par habitant de l’Allemagne et des Pays-Bas est nettement supérieur à celui de la France, d’environ respectivement 12 et 18 points de pourcentage. Cet écart est considérable (voir Graphique). Il s’explique en partie seulement par une raison avantageuse pour la France : le facteur démographique. Du fait d’une natalité plus dynamique, la France pâtit d’une proportion de la population en âge de travailler dans la population totale plus faible que l’Allemagne et les Pays-Bas, mais on doit s’en féliciter car cette situation met notre pays en meilleure situation pour faire face aux défis démographiques sur le long terme.
Un faible taux d’emploi appauvrit le PIB par habitant
La principale explication comptable d’un PIB par habitant plus faible en France qu’en Allemagne et aux Pays-Bas vient du taux d’emploi, c’est-à-dire de la part en emploi de la population âgée de 15 à 65 ans. L’écart de mobilisation dans l’emploi de la population en âge de travailler explique à lui seul plus de 10 points de pourcentage de PIB par habitant plus faible en France que dans ces deux autres pays. Cela signifie qu’avec le taux d’emploi de l’Allemagne ou des Pays-Bas, ou d’ailleurs avec celui des pays nordiques et scandinaves, le produit intérieur brut de la France serait plus élevé d’au moins 10% que ce qu’il est. C’est considérable.
Un taux d’emploi amené en France au niveau de pays comme l’Allemagne et les Pays-Bas ne signifie seulement une poursuite de la baisse du taux de chômage, actuellement encore deux fois plus élevé en France que dans ces deux pays. Il appelle aussi une présence plus forte sur le marché du travail des jeunes et surtout des seniors. Rappelons ici que le taux d’emploi de la population âgée de 60 à 64 ans, la plus directement concernée par la récente réforme des retraites, est de 33% en France quand il est de 56% en Finlande, 61% au Danemark et en Allemagne, 63% aux Pays-Bas et même 69% en Suède, ces pays ne pouvant être considérés comme des enfers sur terre !
Élever le taux d’emploi permettrait le financement de nombreuses politiques
Un PIB plus élevé de 10% en France grâce à un taux d’emploi aux niveaux de ceux observés en Allemagne, aux Pays-Bas ou dans les pays nordiques et scandinaves, augmenterait le revenu moyen des ménages français. Compte tenu du taux de prélèvement obligatoire de la France, il y élèverait aussi, spontanément, les recettes publiques de 100 à 120 milliards d’euros par an. Une telle manne faciliterait considérablement le financement conjoint de politiques climatiques, de réformes ambitieuses dans de multiples domaines comme par exemple l’éducation nationale ou la santé, mais aussi du désendettement public.
Un même constat peut être fait pour l’Italie et l’Espagne, où le taux d’emploi de la population en âge de travailler est relativement faible, comme en France. Dans ces deux pays, l’effort à faire pour augmenter le taux d’emploi concerne un peu moins qu’en France les seniors (le taux d’emploi des 60-64 ans y est par exemple de respectivement 41% et 43%) mais davantage les femmes, moins fréquemment actives (le taux d’emploi des femmes en âge de travailler est ainsi de 50% en Italie et 58% en Espagne contre 64% en France). Ces deux pays pâtissent comme la France d’un PIB par habitant appauvri et de finances publiques dégradées, comparés à l’Allemagne, aux Pays-Bas et aux pays nordiques et scandinaves. Comme pour la France, l’urgence est pour eux l’augmentation du taux d’emploi sur les prochaines années.
Transformer un handicap en atout
D’une certaine façon, et dans le contexte de tensions sociales fortes, la France peut paradoxalement être considérée comme dans une situation favorable. Dans le contexte d’une productivité qui demeure atone et dont les gains ne peuvent financer l’augmentation du revenu, elle est en situation de financer une telle augmentation par celle du taux d’emploi. Si le cap d’une augmentation de ce taux est conservé, et même amplifié, ce qui est l’objectif par exemple des réformes des retraites, de l’indemnisation chômage et du RSA, la France pourra bénéficier d’une augmentation du revenu moyen plus difficilement envisageable en Allemagne, aux Pays-Bas et dans les pays nordiques et scandinaves qui sont déjà en ce domaine proches d’un maximum difficile à dépasser.
En d’autres termes, le handicap actuel de la France peut devenir un avantage, et notre pays, comme d’ailleurs l’Italie et l’Espagne, peuvent offrir à leurs ménages la perspective d’un revenu en hausse. L’occasion ne doit pas être manquée. Faire le choix de ne pas la saisir, comme semblent le proposer tant la NUPES que le RN en préconisant par exemple un retour à la retraite dès 60 ans, revient à accepter que la France demeure plus pauvre que l’Allemagne, les Pays-Bas ou les pays nordiques et scandinaves. C’est faire le choix d’un déclassement économique structurel et de grandes difficultés à financer la transition climatique, le désendettement public, les réformes ambitieuses de domaines publics comme l’éducation nationale et bien sûr tout gain de pouvoir d’achat.
Graphique. PIB par habitant – niveau comparé par rapport aux Etats-Unis (en%) et contributions (en pp)
Ensemble de l’économie – Année 2019. Source: Bergeaud, Cette et Lecat – www.longtermproductivity.com
Lecture : Le PIB par habitant était en France, en 2019, inférieur de 28% à celui des États-Unis. Sur la base de quelques conventions comptables, cet écart s’explique pour 13 points de pourcentage (pp) par une plus faible durée du travail, 7pp par un plus faible taux d’emploi de la population en âge de travailler (âgée de 15 à 64 ans), 6pp par la démographie (plus faible proportion de la population en âge de travailler dans la population totale) et 10pp par une plus faible productivité globale des facteurs. Par contre, un plus fort volume de capital fixe par heure travaillée contribue positivement pour 5pp. Un terme correctif inévitable dans ce type de décomposition contribue positivement pour 3pp.
La Source: Telos