Sept ans de colonie pénitentiaire pour une action pacifiste. Un tribunal russe a condamné, jeudi 16 novembre, l’artiste Alexandra Skotchilenko, arrêtée en Russie en avril 2022 pour avoir remplacé les étiquettes de prix dans un supermarché par des messages dénonçant l’offensive en Ukraine.
Âgée de 33 ans, l’accusée rejoint les dizaines de détracteurs du Kremlin, renommés ou anonymes, jetés en prison pour avoir dénoncé l’assaut contre l’Ukraine, une offensive qui a été suivie en Russie d’une accélération massive de la répression.
Le même jour, l’opposant en exil Vladimir Milov, ancien vice-ministre de l’Énergie, a été condamné à huit ans de détention par contumace pour avoir accusé l’armée russe de crimes en Ukraine.
La juge du tribunal Vassiléostrovski de Saint-Pétersbourg, Oksana Demiacheva, a reconnu Alexandra Skotchilenko coupable de « diffusion de fausses informations » sur l’armée.
La jeune femme s’est mise à pleurer, tandis que des soutiens présents à l’audience criaient « Honte ! », « Sacha (diminutif d’Alexandra), nous sommes avec toi ! » « Pour un meurtre, on prend parfois moins que pour cinq étiquettes de prix dans un supermarché », a déploré Boris Vichnevski, figure du petit parti libéral Iabloko, dans les couloirs du tribunal. Les avocats de l’artiste ne se sont pas arrêtés devant la presse.
Dans un communiqué, Amnesty international a dénoncé « un simulacre de procès », estimant que l’affaire Skotchilenko « est devenue synonyme de l’oppression absurde et cruelle à laquelle sont confrontés les Russes qui s’opposent ouvertement à la guerre ».
« Vous jugez une pacifiste »
Avant le verdict, Alexandra Skotchilenko était apparue souriante, vêtue d’un t-shirt coloré frappé d’un gros cœur rouge. Une trentaine de personnes ont assisté à l’audience, dont le réalisateur Alexandre Sokourov.
« Toutes les personnes présentes dans cette salle ne souhaitent qu’une chose : la paix ! Pourquoi se battre ? », a interrogé Alexandra Skotchilenko, combative, jeudi. « Tout le monde voit et sait que vous ne jugez pas une terroriste. Vous ne jugez pas une extrémiste. Vous ne jugez même pas un activiste politique. Vous jugez une pacifiste », a-t-elle encore lancé.
Peu avant, Alexandre Sokourov (« Faust », « L’Arche russe ») avait dit à l’AFP venir en soutien à « une personne pure ». « Je ne pouvais pas ne pas venir », a ajouté ce classique du cinéma russe et soviétique, âgé de 72 ans.
Ouvertement homosexuelle dans un pays punissant la « propagande » LGBT++ et bafouant leurs droits, selon de nombreuses ONG, Alexandra Skotchilenko avait estimé, mardi, face au tribunal, que la sévérité de la peine demandée par le parquet pouvait s’expliquer par une « haine des minorités ».
Des étiquettes antiguerre dans un supermarché de Saint-Pétersbourg
L’artiste a été punie pour une action de protestation remontant à mars 2022, quelques semaines après le début de l’assaut contre l’Ukraine. Elle avait collé sur les étiquettes de prix d’un supermarché à Saint-Pétersbourg de courtes phrases dénonçant le conflit, en particulier le siège de Marioupol alors en cours – et qui a fait au moins 20 000 morts, selon Kiev.
« Poutine nous ment depuis 20 ans », lisait-on sur un de ces messages, ou encore « Le prix de cette guerre, c’est la vie de nos enfants. »
Son procès s’est ouvert en décembre 2022 mais il a été retardé à plusieurs reprises, l’accusation ayant demandé plus de temps pour réunir « preuves » et témoignages.
Pendant plus d’un an et demi, l’artiste a été maintenue en détention. Toutes les demandes pour une assignation à résidence ont été rejetées, car sa sœur vit en France, ce que la justice russe considère comme un risque de fuite.
Selon ses soutiens, la jeune femme souffre d’une maladie intestinale chronique, d’un problème cardiaque congénital et ne peut manger de gluten, un régime difficile sinon impossible à suivre en prison.
La Russie réprime depuis des années les voix critiques, mais la campagne de répression a pris une ampleur considérable avec l’attaque contre l’Ukraine. La quasi-totalité des opposants d’envergure ont été emprisonnés ou poussés à l’exil et des milliers de Russes ordinaires ont été poursuivis et condamnés à des amendes ou des peines de prison pour avoir manifesté leur désaccord avec le Kremlin.