ENTRETIEN. Le député Renaissance Charles Sitzenstuhl, venu de la droite, considère que l’État ne peut plus absorber le coût de l’inflation et sonne l’alerte sur les dépenses publiques.
C’est un sujet que l’on croirait presque oublié, tant il a disparu du débat public et que les compteurs, depuis la crise Covid, ont explosé. Avant d’entrer à l’Élysée, Emmanuel Macron préconisait une réduction du nombre de fonctionnaires, une profonde réforme de l’État. Le candidat de l’époque proposait des économies de 60 milliards d’euros. C’était il y a une éternité… Le député Renaissance du Bas-Rhin Charles Sitzenstuhl, qui a passé dix ans au côté de Bruno Le Maire à l’UMP, pendant la primaire de 2016 puis à Bercy, appelle dans Le Point à des « efforts » pour diminuer les dépenses publiques.
Un pavé dans la mare. Le conseiller départemental n’épargne pas son ancienne famille politique, qui menace de ne pas voter la réforme des retraites. Au passage, alors que le gouvernement hésite à proposer un report de l’âge légal à 64 ou 65 ans, Charles Sitzenstuhl prône une ligne ferme.
Le Point : Le gouvernement a reporté la présentation de la réforme des retraites au 10 janvier, après avoir échoué à passer le texte sous le précédent quinquennat. Faut-il y voir le signe d’une fébrilité ? Pourquoi perdre du temps ?
Charles Sitzenstuhl : Ce n’est qu’un décalage de quelques jours. Le premier quinquennat a amené le président de la République à être clair dans la campagne de 2022 sur la seule vraie question pour les retraites, celle de l’âge légal. Pendant la campagne présidentielle puis législative, j’ai pu voir sur le terrain que c’était le seul vrai sujet compliqué. Cette clarification était politiquement difficile à porter, mais nécessaire. Sur ce sujet, je considère que nous avons gagné un quinquennat, pour le faire avancer dans le bon sens !
Tous les grands pays d’Europe ont augmenté l’âge légal, à 65 et parfois 67 ans, certains depuis longtemps. C’est intenable de rester à 62 ans pour l’économie et le modèle social français. Il faut continuer à financer notre système du fait du vieillissement démographique. On ne dévie pas du cap, celui de passer la réforme à l’été 2023 et de reporter l’âge légal à 65 ans, malgré l’opposition de nombreuses forces politiques.
Comment expliquer ce changement de calendrier ?
Je pense que c’est un signal d’intelligence tactique. Cela montre que nous nous adaptons, car une discussion est en cours et car la donne a changé, avec la moitié des partis d’opposition qui viennent d’introniser un nouveau leader. Notre partenaire naturel, sur cette réforme, c’est les LR, qui viennent d’élire un nouveau président. Faire l’annonce avant ou après Noël ne change pas grand-chose. Il ne faut pas s’entêter sur un calendrier. Si la réforme avait été annoncée jeudi alors que des élections sont encore en cours côté syndicats, tout le monde nous serait tombé dessus en disant : vous foncez tête baissée. Le calendrier décalé déstabilise par ailleurs les oppositions, qui sont gênées aux entournures.
Il y a aussi des préavis de grève dans les transports, les fêtes qui approchent…
Le climat social n’est pas favorable sur la question des retraites, nous le savons. On ne va pas prendre le risque de bloquer Noël.
Faut-il tenir sur l’objectif des 65 ans ou êtes-vous ouvert à 64 ans avec une augmentation de la durée de cotisation ?
Mon avis est qu’il faut tenir sur les 65 ans, pour pouvoir pérenniser notre système, puisqu’il va être sérieusement déficitaire. Le rapport du conseil d’orientation des retraites (COR) est imparable. Il y a aussi un sujet de crédibilité européenne. La France ne peut pas prétendre être le leader de l’Europe, être une économie moderne, en restant à 62 ans. Ensuite, il y aura une négociation, elle est d’ailleurs en cours avec les syndicats.
Qu’est-ce qui est le plus important : obtenir la bienveillance de la CFDT ou le soutien des LR ? Allez-vous devoir en passer par un 49.3 ?
Le plus important, c’est l’intérêt général du pays, c’est-à-dire que la réforme soit enfin faite ! Si on doit passer par un 49.3, cela signifie que les LR auront perdu toute colonne vertébrale et renieront ce qu’ils ont toujours défendu. Car c’est une réforme clé pour ceux qui se disent réformateurs, au sein de la majorité comme dans l’opposition. Si sur la réforme des retraites, on ne peut pas compter sur la majorité des députés LR, c’est que ce parti est mort, vidé de toute sa substance idéologique. Il faudra qu’ils expliquent aux Français comment ils défendent une réforme des retraites dans les campagnes Fillon et Pécresse pour retourner leur veste quelques mois plus tard. Je note par ailleurs que Bruno Retailleau et Éric Ciotti ont dit durant leur débat qu’ils étaient favorables à la réforme.
Depuis le Covid, l’État a beaucoup dépensé. En dehors de la réforme des retraites, il n’y a pas de projet de nature à produire des économies…
La réforme des retraites sera tout en haut du bilan. Les deux réformes de l’assurance-chômage que nous avons faites sont aussi des réformes de rationalisation de la dépense. En dix ans, on aura fait ce que des décennies de gouvernements passés n’auront pas fait ! Quant à la séquence ouverte depuis la crise Covid, il fallait bien sûr soutenir l’économie avec beaucoup de dépenses publiques. Le « quoi qu’il en coûte » d’Emmanuel Macron a sauvé l’économie française. On a évité des faillites en cascade, du chômage de masse, donc des dépenses futures bien supérieures encore. Le sujet maintenant, c’est comment reprendre la dynamique de réforme de l’État. Pour moi, cette question doit être au cœur de notre prochain budget.
Quelles sont les pistes que vous préconisez pour faire des économies ?
Nous aurons des propositions à l’été pour le budget 2024. Il y a notamment la question des niches fiscales, du fonctionnement des administrations et des agences de l’État.
En attendant, le gouvernement annonce tous les jours ou presque un nouveau chèque…
Le gouvernement a, c’est vrai, mis au second plan la question des dépenses publiques dans le budget 2023, car la priorité est de continuer à soutenir la croissance alors que l’économie mondiale ralentit. Oui, on dépense sûrement trop d’argent public en France, mais cela depuis des décennies ! C’est un trait français de gauche, comme de droite, de penser que la dépense publique suffit à panser les plaies. Mais il faut revenir à une maîtrise des dépenses. La réponse Covid était la meilleure politique menée en Europe, mais puisqu’on revient à des temps de croissance, c’est maintenant qu’il faut faire les efforts. La fin de la ristourne sur le carburant, par exemple, est une décision de finances publiques. Nous avons été contraints par les LR de prolonger cette ristourne qui est, certes, efficace sur le prix à la pompe, mais qui coûte une fortune à l’État ! Les LR qui veulent nous faire la leçon sur les finances publiques sont les auteurs du prolongement de cette ristourne qui est déraisonnable d’un point de vue budgétaire. Ce n’est pas sérieux d’un point de vue économique que l’État absorbe à lui seul l’inflation.
La politique du carnet de chèques a-t-elle des effets pervers ?
Nous sommes allés au bout de la logique du quoi qu’il en coûte. Le quoi qu’il en coûte a fait perdre certains ordres de grandeur. Tout ne peut pas reposer sur l’argent public. Certaines entreprises ont pris le réflexe de considérer l’État comme assureur de dernier ressort. Ce n’est pas possible dans une économie de marché ! Le marché doit être régulé, certes, mais le libre marché doit aussi faire son jeu. C’est ça une économie qui fonctionne normalement ! Il faut parfois refaire cette pédagogie. La sortie du quoi qu’il en coûte doit permettre de rappeler les règles du jeu d’une économie de marché.
On voit bien que les prix ne vont pas redescendre au niveau d’avant-crise du jour au lendemain. Il va donc bien falloir que l’État continue à aider – au moins en partie – les Français en 2024. Quelqu’un ne va-t-il pas devoir finir par régler la note sous forme d’augmentation d’impôts ?
Je vais être très clair : il ne faut pas augmenter les impôts, sinon on va tuer la croissance. Notre politique économique fonctionne justement parce qu’avec Emmanuel Macron et Bruno Le Maire nous avons fait une politique fiscale intelligente de baisse d’impôts que nous poursuivons d’ailleurs avec la suppression de la Cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE). En baissant le fardeau fiscal sur les entreprises et les ménages, avec la suppression de la taxe d’habitation et de la redevance télé, on a relancé la consommation et l’investissement. On le voit bien aujourd’hui : alors que la croissance ralentit à cause de la crise énergétique, on va rester en positif quand l’Allemagne va entrer en récession en 2023. Nous stabiliserons la dette par la croissance. La hausse de la dette n’est pas propre à la France, on l’observe tendanciellement dans beaucoup d’économies occidentales. Le sujet est de la stabiliser, voire d’être capable de la faire baisser. C’est ce que nous ferons d’ailleurs à la fin du quinquennat.
Même si l’inflation ralentit, le niveau des prix, lui, risque pourtant de ne pas baisser…
Il faut équilibrer la charge de l’inflation entre l’État, les entreprises et les ménages. La direction générale du Trésor a bien montré que plus de 90 % de l’inflation sur l’énergie a jusqu’ici été absorbée par l’État et les entreprises uniquement. Ce n’est pas tenable. Les ménages qui en ont les moyens doivent absorber une plus grande part du choc d’inflation. D’ailleurs, le taux d’épargne des ménages reste très élevé et on a observé une collecte record sur le livret A cet été et cet automne. Beaucoup de ménages peuvent donc absorber la hausse des prix. Évidemment, tous ne sont pas dans la même situation. Certains Français font face à de grosses difficultés. C’est ceux-là qu’il nous faut aider en priorité.
Quelle grande réforme économique faut-il mener après celle des retraites ?
La question de l’organisation territoriale du pays doit être posée. C’est sans doute encore plus prioritaire que la réforme de l’État. Rien n’a été réglé par les réformes entreprises sous François Hollande, qui ont même ajouté au bazar. Le millefeuille territorial comporte toujours autant de strates. Cette réalité alimente l’agacement des Français, y compris de nombreux maires, vis-à-vis de la politique : les gens ne comprennent plus qui fait quoi entre la commune, les intercommunalités, les métropoles, les départements, les régions, l’État… Élisabeth Borne a dit dans son discours de politique générale que le gouvernement allait travailler sur la différenciation. Je suis élu d’Alsace : nous voulons créer une collectivité d’Alsace unique, qui cumulerait les compétences départementales et régionales, afin de supprimer un échelon. Nous venons de déposer une proposition de loi en ce sens. C’est un beau projet de simplification.
Pourquoi ne pas avoir ouvert ce chantier plus tôt ?
Nous n’avons pas fait cette réforme lors du premier quinquennat car nous sortions des réformes Hollande, il fallait que les élus locaux reprennent leurs repères. Mais je crois que nous sommes mûrs pour corriger les erreurs des réformes Hollande. Il va falloir mettre sur la table le sujet de la fonction publique territoriale. Nous sommes dans un entre-deux non satisfaisant et typiquement français : on parle de fonction publique territoriale alors que c’est l’État qui fixe les règles comme l’évolution du point d’indice. Si on fait une vraie décentralisation, alors il faut confier l’entière gestion de la fonction publique territoriale aux collectivités.
Emmanuel Macron avait justement promis de différencier le point d’indice de la fonction publique d’État et des collectivités, ça ne s’est jamais fait…
Il faut le faire avec des garde-fous nationaux bien entendu. Il faut aussi aller loin sur le transfert de nouvelles compétences, notamment en matière de logement. C’est une politique qui coûte extrêmement cher à l’État pour des résultats décevants. Pour moi, le logement est devenu le problème social numéro 1 dans le pays. Nous devrons y travailler dans le projet de loi finances 2024. Faut-il encore une politique nationale du logement ? Pas forcément. Il faudra réfléchir à quel échelon la confier. Aujourd’hui, l’État et les départements s’en mêlent, les communautés de communes et aussi, bien sûr, les communes. On ne peut pas faire plus illisible.
Comment analysez-vous l’élection d’Éric Ciotti à la tête des Républicains ?
Sa victoire étriquée est une surprise. C’est une défaite pour Laurent Wauquiez. Cela le fragilise, très clairement.
Éric Ciotti est très anti-Macron…
Ça clarifie la nature du débat que l’on va avoir avec LR dans les prochains mois. La grande question qui se pose depuis l’entre-deux-tours de 2017 est « reste-t-il un parti de droite capable de gouverner avec le centre ou finira-t-il comme force d’appoint à l’extrême droite ? ». Je rappelle qu’Éric Ciotti, nouveau président du parti fondé par Jacques Chirac et Alain Juppé, a dit qu’il ne voterait pas pour Emmanuel Macron au second tour en 2022. Il a donc voté Marine Le Pen ou blanc. Rendez-vous compte : il a clairement dit qu’il préférait l’extrémiste Zemmour à Emmanuel Macron. C’est écœurant !
Vous avez beaucoup travaillé avec Bruno Le Maire. Peut-il être un bon candidat pour contrer le RN en 2027 ?
Bruno Le Maire vient de cette droite qui combat l’extrême droite sans aucune hésitation. Pour 2027, la question ne se pose pas encore, même s’il fait clairement partie de ceux qui compteront. Je crois que tous ceux qui se précipiteront feront une erreur stratégique majeure. Il faut d’abord réussir ce quinquennat. Qui portera notre héritage en 2027, il est beaucoup trop tôt pour le savoir. Et je vais vous dire le fond de ma pensée : celui qui sera incontournable en 2027, ce sera Emmanuel Macron !