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Bataille de la Mer Noire : Qui a Encore Peur de la Flotte Russe ?

The Russian corvette Aleksin fires missiles during a parade marking Navy Day in Baltiysk in the Kaliningrad region, Russia July 31, 2022. REUTERS/Vitaly Nevar

Elle devait régner sans partage sur les eaux de la mer Noire. Être capable d’organiser un blocus pour étouffer l’Ukraine et soutenir un assaut amphibie sur des villes comme Odessa. On en est loin. La fameuse flotte russe de la mer Noire aurait même été obligée de se retirer en partie du port stratégique de Sébastopol, assure le Wall Street Journal, dans un article de mercredi 4 octobre se fondant sur les images satellite de la Crimée prises quelques jours plus tôt.

Au moins trois sous-marins d’attaque, deux frégates et un bateau de patrouille ont été redéployés vers le port de Novorossiïsk, une ville russe sur la côte orientale de la mer Noire, détaille le quotidien nord-américain. En tout, dix navires de la flotte de la mer Noire – qui compte entre 50 et 100 bateaux – auraient ainsi quitté la Crimée pour se mettre à l’abri à Novorossiïsk, précise le site américain d’analyse militaire de l’Institute for the Study of War, devenu une référence pour ses points quotidiens sur la guerre en Ukraine.

Retrait ou pas ?

Ces importants mouvements de bateaux marquent « la défaite opérationnelle de la flotte russe en mer Noire », s’est réjoui James Heappey, le ministre britannique des Forces armées, lors de la Conférence de Varsovie sur la sécurité, qui a débuté lundi. Si ce redéploiement venait à être confirmé, « ce serait une victoire inédite dans l’histoire moderne », reconnaît Huseyn Aliyev, spécialiste du conflit en Ukraine à l’université de Glasgow.

En effet, l’Ukraine ne dispose plus de flotte navale militaire, détruite par les Russes dès février 2022. Kiev aurait ainsi réussi à prendre l’ascendant en mer Noire « avec ses seuls drones navals et des missiles », précise Danilo delle Fave, spécialiste en stratégie militaire à l’International Team for the Study of Security (ITSS) Verona.

Mais l’ampleur et même la réalité de ce retrait de la flotte russe reste encore à confirmer. En effet, « si on regarde les images satellite de ces dernières heures, les affirmations relatives à un retrait massif semblent quelque peu exagérées », tempère Sim Tack, un analyste militaire pour Force Analysis, une société de surveillance des conflits.

« Les images les plus récentes montrent qu’il y a encore une centaine de navires russes [flotte militaire et bateaux civils, NDLR] à Sébastopol », ajoute ce spécialiste, qui étudie les clichés satellite de la mer Noire depuis le début de la grande offensive russe en février 2022. L’arrivée de vaisseaux à Novorossiïsk, y compris de sous-marins d’attaque, « n’a rien d’étonnant et cela s’est déjà produit par le passé », précise Sim Tack.

La seule nouveauté de ces deux derniers mois concerne le petit port militaire de Feodossiia, une autre ville de Crimée. « Le nombre des navires de guerre qui s’y trouve a doublé depuis la fin de l’été », a constaté Sim Tack. Feodossiia, plus loin des côtes ukrainiennes, est plus difficile à atteindre pour les missiles et drones navals de Kiev.

Ceci étant, qu’il s’agisse « d’un redeploiement partiel ou majeur, à long terme ou juste pour quelques jours, cela ne change pas le fait qu’il y a eu un changement du rapport de force en mer Noire », assure Basil Germond, spécialiste des questions de sécurité internationale et maritime à l’université de Lancaster.

D’après lui, les récents développements prouvent avant tout que « la Russie a perdu le contrôle de la mer Noire ». Il y a eu les « trois assauts de drones des derniers mois sur la base militaire de Sébastopol qui ont prouvé que la flotte n’y était pas à l’abri », rappelle Danilo delle Fave.

Le 11 septembre, l’Ukraine a aussi réussi à capturer une plateforme pétrolière et gazière en mer Noire occupée par la Russie depuis 2015. Une victoire importante pour Kiev sur le plan militaire car « cette installation [située entre Odessa et la Crimée, NDLR] est suffisamment grande pour pouvoir être utilisée pour lancer des missiles, ce qui rend encore plus facile d’atteindre la flotte à Sébastopol », souligne Gavin Hall, spécialiste des questions de sécurité internationale ayant déjà écrit sur l’importance de la bataille de la mer Noire.

Trouver une parade à la menace ukrainienne

L’Ukraine a aussi annoncé fin septembre « avoir fini le développement d’une version améliorée de ses drones sous-marins, capables de plonger vraiment en profondeur. La plupart des navires russes ne sont pas équipés pour se défendre contre cette menace », explique Huseyn Aliyev.

À défaut de retrait massif, la flotte russe cherche à se réfugier en attendant de trouver une parade. Les capacités ukrainiennes à endommager les bateaux russes avec ces armes high-tech représentent « un problème grave pour la Russie car les navires font partie des éléments les plus onéreux de l’arsenal de guerre d’un pays. Ils sont aussi très longs à remplacer en cas de perte », souligne Basil Germond.

La flotte russe de la mer Noire ne peut pas, en outre, compter sur des renforts venus d’ailleurs. « La Turquie refuse le passage de navires russes par le détroit du Bosphore en application de la convention de Montreux qui limite la circulation des vaisseaux en temps de guerre dans les détroits », note Danilo delle Fave.

À cet égard, « le passage par le port de Novorossiïsk peut servir non seulement à mettre ces bateaux à l’abri, mais aussi à leur livrer depuis la Russie des armements afin de leur permettre de mieux répondre à la menace des drones navals et sous-marins », estime Huseyn Aliyev.

Sébastopol trop important

La Russie ne peut cependant pas déserter complètement le port de Sébastopol, stratégiquement trop important. « C’est le seul dans cette région capable d’accueillir l’ensemble de la flotte russe de la mer Noire », rappelle Sim Tack. Et ce n’est pas tout : « Il est aussi le seul équipé de cales sèches, ce qui signifie qu’il n’y a pas d’autre endroit pour les navires qui ont besoin de réparations ou de maintenance significatives », ajoute ce spécialiste.

Ainsi, « il est peut-être un peu tôt pour affirmer que l’Ukraine a gagné la bataille de la mer Noire, mais elle a réussi à restreindre considérablement le champ d’action russe », résume Huseyn Aliyev. Entre les navires les plus fragiles partis se cacher à Novorossiïsk ou Feodossiia, et le reste de la flotte qui va hésiter à quitter la protection des défenses antimissile installées en Crimée, le rôle de la flotte russe en mer Noire est difficile à définir.

« Elle peut toujours s’en prendre aux bateaux commerciaux – comme ceux transportant les céréales ukrainiennes – mais sa capacité de nuisance est bien moins importante », note Gavin Hall. Une évolution qui prouve que « le blocus russe a perdu en crédibilité. C’est important car plus la menace russe apparaîtra faible, plus Kiev pourra facilement trouver des accords avec les assureurs maritimes », précise Basil Germond.

Si les sous-marins peuvent toujours servir à envoyer des missiles en Ukraine, « l’hypothèse d’un débarquement amphibie à Odessa n’est plus du tout crédible », tranche Gavin Hall.

Pas étonnant, dans ce contexte, que la Russie cherche à construire un nouveau port militaire en Abkhazie, région séparatiste de Géorgie. Aslan Bjania, le président de cette République autoproclamée, a confirmé jeudi que ce projet était bien à son agenda… sans donner davantage de précisions.

L’objectif est clair : « La guerre en Ukraine a prouvé à Moscou qu’il était risqué de n’avoir qu’un seul port d’attache d’importance pour sa flotte en mer Noire », explique Huseyn Aliyev. L’Abkhazie est en outre bien plus éloignée de l’Ukraine que la Crimée et si Moscou réussit à y construire un port militaire d’envergure, « cela pourrait constituer une bonne base de repli pour menacer l’Ukraine de plus loin », assure Gavin Hall.

Même si le chantier peut prendre des années à finir, la Russie ne serait pas obligée d’attendre pour s’en servir. « Construire les quelques infrastructures nécessaires pour commencer à accueillir des navires pourrait ne prendre que quelques mois », estime Sim Tack. Autrement dit, un futur port en Abkhazie pourrait être utile dans le cadre de la guerre en cours. Surtout « si l’Ukraine décide d’essayer de reprendre la Crimée », conclut Sim Tack.

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