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Le Danemark, Futur Policier Européen Des Sanctions Sur Le Pétrole Russe ?

Il y a quelque chose de pourri au royaume des sanctions contre le pétrole russe. L’Union européenne doit discuter, vendredi 17 novembre, de la meilleure manière de mieux limiter les revenus de Moscou, et tout particulièrement ceux issus du commerce de l’or noir. Le Danemark serait, à ce titre, censé jouer un rôle central dans le nouveau dispositif des sanctions, a affirmé le Financial Times, mercredi 15 novembre.  

Bruxelles voudrait confier « au Danemark la tâche d’inspecter et éventuellement de bloquer les cargos transportant du pétrole russe naviguant dans ses eaux », écrit le quotidien britannique en citant plusieurs « personnes informées des discussions » au sujet du prochain plan de sanctions européennes.

Cette nouvelle mission de « grand flic » des sanctions qui pourrait échoir à Copenhague n’est, cependant, inscrite nulle part dans les propositions de durcissement des sanctions rendues publiques par la Commission européenne, jeudi soir. 

Le grand retour du prix plafond pour le pétrole russe

« Plusieurs diplomates européens ont confirmé que le document de travail européen ne faisait pas référence directe au Danemark », souligne l’agence de presse Reuters. « Je ne pense pas que le Danemark va dorénavant arrêter physiquement les pétroliers russes qui passent au large de ses côtes. Je ne vois pas sur quel fondement », affirme Henning Gloystein, directeur énergie pour l’Eurasia Group. Ne serait-ce, d’après lui, que parce qu’il n’y a pas d’interdiction pour qui que ce soit de transporter du pétrole russe. L’objectif des sanctions est simplement « d’empêcher la Russie à vendre son pétrole au-dessus du prix plafond de 60 dollars le baril de brut russe exporté par voie maritime [fixé en décembre 2022], pas à les arrêter », rappelle cet expert.

Il n’empêche que les nouvelles propositions de l’UE prévoient d’accroître la vigilance en mer Baltique et plus spécifiquement dans les détroits danois qui permettent aux navires de passer à la mer du Nord. « C’est un corridor critique pour le trafic maritime dans cette région et comme il est sous contrôle du Danemark, le rôle de ce pays devient automatiquement plus important », résume Benjamin Hilgenstock, spécialiste des sanctions internationales contre la Russie à la Kyiv School of Economics.

L’Europe veut remettre le fameux prix plafond pour le pétrole russe sur le devant de la scène médiatique car son effet a fait pschitt. En octobre 2023, il n’y avait « quasiment plus aucune livraison de brut [russe] par voie maritime en-dessous de la limite que le G7 et ses alliés ont tenté d’imposer », souligne le Financial Times.

Même Jeffrey A. Sonnenfeld, un économiste américain qui a été l’un des artisans du mécanisme de prix plafond, a reconnu que « son » bébé ne marchait plus.  

Pourtant, peu après son introduction, cette sanction a semblé d’abord très bien fonctionner. La Russie s’est ainsi retrouvée à vendre son pétrole par voie maritime sous la fameuse barre des 60 dollars pendant plusieurs mois. Ce n’est qu’à partir de l’été que les revenus russes de ces exportations ont recommencé à grimper en flèche.

Vaisseaux fantômes et assureurs de l’ombre

Aujourd’hui, les experts se demandent même si, en réalité, ce prix plafond n’a jamais fonctionné. « Une autre explication tient à l’embargo total sur le pétrole russe pour le seul marché européen [entré en vigueur en même temps que la fixation du prix plafond sur le transport international, NDLR]. Privée de ce débouché, la Russie a dû consentir à d’importants rabais pour continuer à écouler son pétrole vers de nouveaux clients, comme l’Inde », explique Elina Ribakova, spécialiste des sanctions contre la Russie au Peterson Institute for International Economics (PIIE). 

Une autre explication tient aussi au fait que la Russie a fini par trouver comment contourner efficacement ce dispositif. « Elle s’est constituée une flotte de ‘navires fantômes’ qui effectuent aujourd’hui 70 % de tout le transport de pétrole pour Moscou », constate Elina Ribakova. Il s’agit de centaines de pétroliers de seconde main et en fin de vie qui ont souvent plus de 50 ans.

Quel rapport entre des vieux rafiots et le contournement des sanctions ? « En achetant des pétroliers en fin de vie, les Russes ont pu les faire assurer par des nouvelles compagnies qui ne dépendent pas des pays du G7 ou de l’Europe et acceptent ainsi de prendre le risque d’assurer le transport de pétrole au-dessus du prix plafond », explique Benjamin Hilgenstock.

Les compagnies d’assurance représentent, en effet, le nerf de la guerre du pétrole russe. Le dispositif imaginé en décembre 2022 prévoyait qu’un cargo transportant le précieux hydrocarbure russe vendu à plus de 60 dollars ne devait pas être assuré sous peine d’une amende pour la compagnie d’assurances.

Résultat : outre les navires fantômes, ces sanctions ont entraîné la création des compagnies d’assurances maritimes « de l’ombre » qui acceptent de courir ce risque et misent sur le fait que le navire ne sera pas contrôlé avant de livrer son pétrole en Inde ou ailleurs. « Il faut dire que les contrôles ne sont pas suffisants », assure Henning Gloystein.

Et c’est là que les détroits danois entrent en scène. C’est l’endroit parfait pour accroître les contrôles. « Plus de 70 % de toutes les exportations par voie maritime de pétrole russe passent par la mer Baltique avant d’être livrées aux clients en Asie essentiellement », souligne Henning Gloystein. 

Pour rendre ces contrôles plus efficaces, l’Union européenne voudrait maintenant que l’assurance de ces pétroliers couvrent aussi les régulations environnementales européennes. « En clair, ces navires vont devoir être assurés contre le risque de marée noire. Ce qui est très cher », note Benjamin Hilgenstock.

Attention marée noire

Une nouveauté qui vise clairement la flotte de « bateaux fantômes » russes. En effet, « ce sont des navires vieillissants qui posent un risque accru d’accident et il peut donc apparaître tout à fait naturel qu’un pays comme le Danemark veuillent protéger ses côtes contre un tel risque en exigeant de voir la preuve que le transporteur est bel et bien couvert », détaille Elina Ribakova.

Pour Moscou c’est un problème : « aucun de ces nouveaux assureurs [de l’ombre, NDLR] n’a les reins financiers suffisamment solides pour couvrir le coût énorme d’une éventuelle marée noire », affirme Benjamin Hilgenstock. Autrement dit, le but est de pousser ces bateaux russes à revenir s’assurer auprès de compagnies déjà bien établies et qui peuvent garantir contre ce genre de risque. Tous ces assureurs dépendent de pays du G7 ou d’Europe et vont donc exiger que le pétrole transporté sera bel et bien vendu sous la barre des 60 dollars. Et le tour sera alors joué ?

Il est toujours possible qu’un navire fantôme russe continue à faire affaire avec ces petites officines « de l’ombre » et refuse de fournir les documents aux autorités danoises. Le Danemark n’aura pas les moyens de bloquer ces navires. Mais les transporteurs qui feraient ce choix vont se retrouver dans le collimateur des autorités américaines et européennes qui pourront, à l’avenir, les sanctionner. Un sacré risque…

« À court terme, c’est-à-dire dans les prochaines semaines et mois, ces ajustements vont probablement obliger la Russie à vendre son pétrole moins cher. Mais il ne faut jamais sous-estimer la créativité de ceux qui veulent contourner les sanctions », affirme Henning Gloystein. Mais, pour Moscou, trouver la solution aura forcément un coût. La Russie avait déjà dû débourser plusieurs milliards de dollars pour se constituer sa « flotte fantôme ». Ce sera déjà ça de gagné.

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