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La Traque Des œUvres Spoliées Aux Juifs Par Les Nazis

Une odeur de tabac flotte dans le salon de May Monteux. La pièce n’est pas si petite, mais elle apparaît étriquée : elle est encombrée de meubles, les étagères débordent de livres, de sculptures, de bibelots. Chaque centimètre carré de mur est couvert de tableaux qui ont, pour certains, une histoire particulière : ils ont été volés par les nazis lors de la Seconde Guerre mondiale.

Leur propriétaire était Marcel Monteux, le grand-père de May. Ce collectionneur d’art a été spolié, parce qu’il était juif. « Il a été arrêté, interné au camp de Drancy le 31 juillet 1944 et déporté vers Auschwitz, par le convoi n°77,raconte sa petite-fille, assise devant une tasse de café et de vieilles photographies. Il n’a pas eu de chance, car le lendemain, il y avait la grève des cheminots et les trains ne sont plus partis. Il est mort à peine arrivé, il a attrapé le typhus et n’a pas survécu. » Aujourd’hui, May, 90 ans, poursuit le combat de sa grand-mère, son « idole » qui, à la Libération, a réussi à se faire restituer de nombreuses œuvres d’art qui appartenaient à Marcel Monteux. Le collectionneur est d’ailleurs lui-même immortalisé sur une toile : un jeune homme élégant, en costume et nœud papillon, pose avec un cigare et un journal. Le tableau trône dans le salon de May, en face du canapé.

Pour retrouver les œuvres spoliées qui ne sont pas revenues à sa famille, la retraitée est aidée par l’historienne Emmanuelle Polack, spécialiste du marché de l’art sous l’Occupation. Elles ont, pour cela, épluché les archives familiales, aidées notamment des notes : « Elle avait une liste assez vague, car mon grand-père, son mari, était très joueur, très flambeur, sourit malicieusement May. Par exemple, quand il empruntait de l’argent, il donnait en gage un tableau. Alors dans le doute, elle avait fait une liste. » Une sorte d’inventaire, donc, de la collection de Marcel Monteux.

Grâce à ces notes griffonnées sur du papier jauni, May et Emmanuelle Polack ont pu trouver une preuve supplémentaire pour se faire restituer un tableau : Bord de rivière reflété dans l’eau de Camille Bombois. Ce tableau est accroché dans un musée de Passau, en Allemagne. L’historienne avait repéré, lors de ses travaux, cette toile dont la provenance était suspecte. Elle s’est alors rapprochée de la descendante du collectionneur. Un deuxième tableau, exposé dans le même musée allemand, a aussi été identifié comme appartenant à la famille Monteux, il représente d’ailleurs Jean-Paul Monteux, le père de May, peint par Maurice Denis. Ce sont donc deux œuvres qui ont été retrouvées et devraient être restituées dans les semaines à venir.

« Une grande razzia »

À son arrivée au pouvoir en 1933, Hitler ne tarde pas à mettre en place des spoliations d’œuvres d’art ou d’autres biens, visant particulièrement les juifs. En France, dès l’été 1940, « il y a une grande razzia, explique Emmanuelle Polack, experte du sujet. Environ 450 caisses [remplies d’œuvres d’art, NDLR] vont aller au sein de l’ambassade d’Allemagne. Très vite, il n’y aura pas assez de place, le Louvre proposera trois salles, puis c’est finalement le musée du Jeu de paume qui deviendra le lieu de stockage des œuvres spoliées ».

À la Libération, 60 000 objets culturels spoliés sont retournés en France, grâce au travail de la résistante Rose Valland. Une grande partie a pu être restituée, mais environ 2 000 tableaux, sculptures, objets d’art dont le propriétaire n’a pu être identifié ou retrouvé, ont été confiés à des musées français. « Ces œuvres n’appartiennent pas aux musées nationaux, précise Emmanuelle Polack. Ils n’en sont que les seuls protecteurs. À charge pour eux de poursuivre les recherches de provenance. »

« Travail de mémoire »

Depuis quelques années, l’historienne aide ainsi le musée du Louvre à restituer, dans ses collections, des œuvres identifiées comme spoliées, ou dont la provenance est suspecte. Elle accompagne les conservateurs des départements dans leurs recherches, les aiguille notamment vers des fonds d’archives qui pourraient fournir des preuves, par exemple un catalogue de vente aux enchères sous l’Occupation qui attesterait d’une vente forcée.

Mais la recherche de provenance se complique d’année en année : les propriétaires des œuvres, ou leurs descendants, disparaissent, ou ignorent que leur famille a été victime de spoliation. Emmanuelle Polack en est consciente : « On ne pourra jamais restituer toutes les œuvres, mais ce qui est très important, c’est de faire ce travail de mémoire. Il me semble que nous le devons à la mémoire des victimes des exactions de la Seconde Guerre mondiale. »

Aujourd’hui, en France, même quand une œuvre est identifiée comme spoliée dans un musée français, il est nécessaire de passer devant la justice pour la restituer, car les collections nationales sont inaliénables. Il faut donc créer une dérogation à la loi pour chaque œuvre. Mais cette situation pourrait bientôt changer : cette année, le Parlement pourrait adopter une loi-cadre facilitant les restitutions.

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