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Javier Milei, l’anarcho-capitaliste perturbateur de la présidentielle argentine

« Je ne veux pas guider des moutons mais réveiller des lions », affirme Javier Milei, le candidat libertarien qui perturbe les affrontements traditionnels de la vie politique argentine. Candidat à l’élection présidentielle qui se tiendra en octobre, cet économiste de 52 ans, toujours ébouriffé, a d’ailleurs adopté comme emblème un lion rugissant.

Depuis l’élection de Nestor Kirchner en 2003, la vie politique argentine s’est installée dans l’opposition de deux blocs : celui de la grande famille du péronisme (centre gauche, nationaliste) et celui de la droite libérale et conservatrice. 

Mais en qualifiant sur les plateaux de télévision les partis politiques de corrompus, de « rats » ou de « caste parasitaire », il s’est taillé un espace politique et médiatique inédit qui se nourrit de l’incapacité des dirigeants de gauche ou de droite à résoudre la crise économique qui ronge l’Argentine depuis des années.

Enseignant dans plusieurs universités, économiste tant au sein d’entreprises privées (dont la banque britannique HSBC) que d’institutions publiques, la carrière de cet économiste de 52 ans est plutôt sinueuse. Depuis 2017, avec son langage familier, ses cheveux en bataille et ses invectives, il est devenu un « bon client » des plateaux de télévision et de radio. En 2020, l’agent perturbateur est élu député de la ville de Buenos Aires, au nom du Parti libertarien qu’il préside.

Adversaire résolu de l’État – prédateur des libertés et des porte-monnaie, selon lui –, il avance des idées plus ou moins neuves dans le débat politique comme par exemple la dollarisation de l’économie. Cette mesure, adoptée par le président Carlos Menem dans les années 90 pour lutter contre l’hyperinflation, s’est soldée par la faillite du pays en 2001 après une brève et trompeuse embellie économique. Adepte de la transgression, il préconise la suppression de la banque centrale argentine, ou organise des tombolas pour faire gagner son salaire de député.

Comme bien d’autres, il affiche son soutien aux forces de l’ordre pour lutter contre l’insécurité. Mais pour attirer l’attention, Javier Milei se réclame du triptyque « Vie, liberté, propriété », maxime d’un capitalisme originel importé des États-Unis qui réduit le rôle de l’État au strict minimum.

Quand « l’alt-right » débarque en Argentine

Comme nombre de tribuns de « l’alt-right » (la droite alternative ) ou de l’extrême droite, il veut libéraliser le port d’armes, éliminer les allocations familiales et les subventions, baisser massivement les impôts, lutter contre le « marxisme culturel » et les écolos qui veulent « exterminer l’humanité ». Sa plateforme présidentielle se nomme « La liberté avance »… sauf en matière d’avortement, libéralisé en 2020 en Argentine, qu’il veut à nouveau interdire, tout comme l’éducation sexuelle à l’école.

En dehors de ces fondamentaux du populisme ultra conservateur, il a surpris en défendant le libre commerce des organes humains pour remédier à la pénurie de dons – une proposition qui a séduit certains, lassés des joutes politiques « classiques ».

Pablo Stefanoni, journaliste et universitaire argentin, auteur de « La rébellion est-elle passée à droite ? Dans le laboratoire mondial des contre-cultures néoréactionnaires » (La Découverte 2022), décrypte pour France 24 le phénomène Javier Milei, en vue du premier tour de l’élection présidentielle argentine qui se tiendra le 22 octobre 2023.

Pablo Stefanoni : C’est sans conteste son attitude anti-système de rock star et son discours anarcho-capitaliste qui a retenu l’attention. C’est un public plutôt jeune qui a commencé à le suivre. Dénoncer la « caste » politique, un terme utilisé par Podemos [le parti de gauche radicale en Espagne, NDLR], a eu beaucoup de succès. Tout comme l’utilisation à toutes les sauces du mot « liberté » que l’on a beaucoup entendu en Argentine pendant et après la crise du Covid.

De plus, avec son discours anarcho-capitaliste, il défend l’économie informelle, contrairement aux élites libérales traditionnelles. Dans un autre registre, il joue sur la nostalgie des années 90, l’époque où la convertibilité entre le peso et dollars garantissait une certaine stabilité.

Enfin, il s’exprime dans un style très transgressif. Sans cesse, il traite les politiciens de voleurs, de fils de pute et c’est l’utilisation de ce vocabulaire qui lui vaut une grande part du succès qu’il obtient.

Les idées qu’il défend sont-elles neuves ?

Oui en grande partie. Ses théories libertariennes qui affirment vouloir abolir l’État sont tout droit importées des États-Unis. Aucun politique en Argentine n’a jamais défendu ces thèses. En Argentine, comme en France, nous sommes attachés aux services publics, à gauche comme à droite.

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Du côté des dirigeants des grandes entreprises ou des défenseurs du libéralisme tel que nous l’avons connu dans les années 90, personne ne se reconnaît dans son discours, car eux essayent de profiter de l’État et non de l’abolir. Beaucoup de ses idées leur paraissent assez folles. En fait, une grande partie de ses soutiens se trouve dans les secteurs de la classe moyenne inférieure, chez ceux qui sont en colère contre la politique, contre les impôts et contre tout.

Sa candidature peut-elle bouleverser l’élection présidentielle qui se tiendra en octobre ?

Elle l’a déjà fait. Si Javier Milei parvient à se maintenir entre 20 et 25 % des intentions de vote, la forte polarisation entre deux forces politiques que nous connaissons en Argentine va se transformer en un jeu à trois.

Javier Milei a déjà contraint la coalition de droite, dirigée par l’ex-président Mauricio Macri, à se positionner de façon plus radicale sur certains thèmes, notamment sur celui des impôts. Celle-ci doit choisir lors des primaires entre une candidate partisane d’une droite dure et le maire de Buenos Aires qui est plus modéré. Si ce dernier l’emporte, je pense que cela va favoriser Javier Milei.

Du côté des péronistes, qui sont en pleine crise interne, certains estiment que sa candidature va retirer des voix à la droite et que d’une certaine manière, elle les arrange. Tout dépend du candidat qu’ils vont choisir lors des primaires qui auront lieu en août. Cependant, je ne pense pas qu’il puisse atteindre le second tour car il ne dispose d’aucune structure politique au niveau national, tout repose sur sa personnalité. C’est un phénomène politique qui capte la frustration des Argentins qui ont la sensation d’avoir tout essayé et que tout a échoué.

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