RFI : Quelle a été votre réaction à la vue de ces images de chasse aux juifs dans un aéroport du Caucase ?
Anne Le Huérou : Évidemment, j’étais sans voix. D’autant plus que j’étais il y a quelques jours à Helsinki avec des collègues du Nord-Caucase et en particulier du Daguestan. On n’a absolument pas évoqué la possibilité d’une action de ce type-là, même si bien sûr la situation au Proche-Orient pouvait occasionner certaines tensions sur les réseaux sociaux, je pense que personne ne pouvait imaginer une chose pareille.
Effectivement, des incidents avaient commencé dès samedi dans d’autres républiques du Nord-Caucase, en Kabardino-Balkarie et en Karatchaïevo-Tcherkessie. Mais là, on a eu vraiment un épisode d’une force et d’une brusquerie tout à fait inattendue, même dans ce contexte de la situation au Proche-Orient qui joue le rôle d’étincelle.
Il y a des mouvements organisés dans cette région du Nord-Caucase qui pourraient justement jouer sur cette situation ?
Des mouvements organisés, c’est difficile à dire dans le contexte général de la Russie où plus aucune opposition n’est tolérée et où l’espace public est totalement réduit à quelques réseaux sociaux, mais qui justement peuvent, en l’absence d’un espace public régulé et démocratique, enflammer les choses très rapidement.
Il y a des tensions sociales au Daguestan. Il y a eu beaucoup et il y a encore des tensions religieuses à l’intérieur de la communauté musulmane, mais il n’y a pas de tensions particulières entre juifs et musulmans au Daguestan. Il y a depuis très longtemps une communauté juive appelée « juifs des montagnes » au Daguestan, mais une communauté aujourd’hui réduite à peu près 1 500 personnes. Des gens qui pour beaucoup ont quitté la Fédération de Russie pour Israël après la fin de l’Union soviétique. Tout cela remonte à beaucoup de temps. C’est peut-être en raison de ce fait-là qu’il y a eu des rumeurs, manipulées manifestement autour du fait que certains pourraient être en train de rentrer craignant bien sûr la situation sur le territoire d’Israël aujourd’hui. Mais c’est encore difficile de démêler tous les fils de cette situation.
Le Daguestan est une République très pauvre. Sa population subit elle-même – et ça beaucoup d’observateurs russes l’ont dit sur les chaînes indépendantes – des discriminations très fortes en dehors du Daguestan. C’est aussi une région qui a payé un très lourd tribut pour la mobilisation dans la guerre en Ukraine. Il y avait d’ailleurs eu des protestations l’année dernière au moment de la grande mobilisation de septembre 2022 parce qu’il y avait le taux de décès le plus important quasiment avec la Bouriatie de toute la Fédération de Russie dans les pertes dans la guerre en Ukraine. Donc les raisons du mécontentement social et politique sont très nombreuses. C’est une région explosive et vulnérable à un discours simpliste.