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Avec le lancement de Luna-25, la Russie espère réaffirmer sa puissance spatiale

In this photo released by Roscosmos State Space Corporation, the Soyuz-2.1b rocket with the moon lander Luna 25 automatic station is set at a launch pad at the Vostochny Cosmodrome in the Russian Far East on Tuesday, Aug. 8, 2023. Luna 25 is a Russian lunar lander mission scheduled to launch later in August. (Roscosmos State Space Corporation via AP)

Le 12 avril 1961, le cosmonaute russe Youri Gagarine effectue le tout premier vol habité dans l’espace, et place l’URSS en tête de la course aux étoiles. Avec cet exploit, le géant soviétique affirme la puissance de son modèle face à son rival américain. Six décennies plus tard, la Russie espère de nouveau se distinguer sur le plan spatial, avec le lancement vendredi 11 août de Luna-25, un engin atterrisseur destiné à se poser sur la Lune.

L’agence spatiale russe Roscosmos a affirmé qu’un lanceur Soyouz avait été « assemblé » sur le cosmodrome Vostotchny, en Extrême-Orient russe, pour le lancement de Luna-25, qui devra se poser près du pôle Sud de la Lune, « en terrain difficile ». Le vol devrait durer entre « quatre jours et demi et cinq jours et demi ».

Sa mission ? « Prélever des échantillons, analyser le sol, mener des recherches scientifiques à long terme », d’après le communiqué de l’agence spatiale russe. « Luna-25 s’inscrit dans un programme qui prépare des alunissages, résume Xavier Pasco, expert des questions de politique spatiale et directeur de la Fondation pour la recherche stratégique. Avec ce programme, les Russes veulent montrer qu’ils sont dans la course, et ce malgré la situation en Ukraine où ils semblent englués. » 

Un projet aux allures de serpent de mer

Avec Luna-25, la Russie joue gros. Il s’agit de son premier lancement d’un engin sur la Lune depuis 1976, dans un contexte bien différent du temps de la splendeur soviétique. Minée par les dettes et la corruption, Roscosmos, l’agence russe, peine à mener à bien ses projets. Son dernier échec public date de février dernier, avec la fuite du liquide de refroidissement d’un vaisseau Soyouz

La mission Luna-25 elle-même a des allures de serpent de mer : élaborée en 1997 dans les décombres de l’Union soviétique, son lancement est prévu dans les années 2010, mais rencontre des déconvenues successives. « Je ne sais plus combien de lancements de Luna-25 ont été prévus ! » confesse René Pischer, représentant de l’Agence spatiale européenne (ESA) auprès de la Russie.

Le projet spatial russe s’est également heurté aux soubresauts plus récents de l’histoire. Initialement impliquée dans le lancement de Luna-25 mais aussi Luna-26 et surtout Luna-27, une ambitieuse mission d’exploitation scientifique des ressources lunaires, l’Agence spatiale européenne (ESA), a mis fin à toute collaboration après l’invasion de l’Ukraine en février 2022.

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René Pischer dépeint : « Sur Luna-27, nous fournissions deux choses : une aide pour le forage, et des outils de navigation qui aident à accomplir un atterrissage le plus précis possible. » La rupture entre les deux organisations a également porté un coup terrible à ExoMars, un ambitieux programme européen d’exploration de la planète rouge. 

Aujourd’hui, la collaboration européenne avec la Russie n’existe plus que sous forme de vestiges. « Le niveau d’activité en Russie est bien moindre, constate René Pischer. Il reste la collaboration autour de la Station spatiale internationale, et le retrait de matériel lié à la mission ExoMars. C’est triste. » 

Fleuron de l’héritage soviétique

Alors, sans aide de l’Europe, quelles chances de réussite pour la mission Luna-25 ? « Jusqu’ici, le secteur spatial russe a vécu grâce à la coopération internationale, commente Isabelle Sourbès-Verger, géographe et directrice de recherches au CNRS, spécialiste de l’analyse comparée des politiques spatiales nationales. L’agence russe a pris l’habitude d’utiliser des composants d’origine américaine ou européenne. Il lui faut retrouver cette compétence. Ca va donc être intéressant de voir le résultat de ce lancement : c’est une mission difficile et compliquée sur le pôle sud de la Lune, et cela fait longtemps que la Russie n’a pas réussi une mission spatiale d’exploration. »

En cas de succès, la Russie renouerait, de manière symbolique, avec son passé. Nommée d’après une illustre série de missions soviétiques, Luna-25 porte ouvertement cet héritage. « Vladimir Poutine n’a jamais été passionné par l’espace mais ça fait partie des fleurons de l’héritage soviétique, souligne Isabelle Sourbès-Verger. C’est l’un de ses grands domaines de prestige, avec le nucléaire. » 

En avril 2022, au cours d’un déplacement sur le cosmodrome Vostotchny, le chef d’État russe a d’ailleurs tenu à rappeler que l’URSS avait réussi en 1961 à envoyer Youri Gagarine dans l’espace malgré des sanctions « totales » prises contre elle.

Pour retrouver sa place au centre du jeu spatial, la Russie peut compter sur un vieil allié : la Chine. Devenu un acteur majeur de la conquête spatiale, Pékin prévoit d’installer conjointement avec Moscou une station permanente à la surface de la Lune.

Une alliance forgée de longue date, dès la fin de l’Union soviétique, et renforcée depuis 2014, en réponse affichée au rouleau compresseur américain. Les États-Unis demeurent de très loin le pays qui alloue le plus de ressources à l’exploration spatiale, et l’implication d’acteurs privés, comme le Space X d’Elon Musk ou le Blue Origin de Jeff Bezos, a renforcé la compétition dans la course aux étoiles. 

« La grande affaire dans le spatial, c’est le retour vers la Lune, affirme Xavier Pasco. En se tournant vers cette activité, la Russie envoie un message géopolitique. Pour l’instant, c’est un enjeu scientifique et pacifique, mais ce type de grand programme, qui va nous occuper pour les 30 prochaines années, finira sans doute par avoir des aspects plus politiques. »

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Face à cette reconfiguration, qui a des allures de crispation entre blocs, difficile de voir où se place la collaboration internationale. Depuis la chute du bloc soviétique, la matière spatiale demeurait une des rares zones de coopération entre rivaux géopolitiques ; États-Unis, Russie et Europe œuvraient ensemble à la Station spatiale internationale (ISS). Celle-ci touche à sa fin, et la Russie a d’ores et déjà annoncé son retrait de l’ISSaprès 2024. Fin d’une ère ? 

Pas si vite. Isabelle Sourbès-Verger nuance : « On a eu la période de la course à l’espace jusqu’en 1970, puis une période de coopération, avec la disparition de l’URSS et la récupération des moyens russes. En 2025 ou 2030, ce sera fini, et plusieurs programmes nationaux vont se développer indépendamment. Mais ça ne veut pas dire la fin de toute solidarité. » Les vols habités, missions coûteuses à la logistique complexe, ne peuvent s’accomplir qu’en équipes, en particulier en cas de missions vers Mars, pointe-t-elle. « Il faut garder cette solidarité terrienne face à la difficulté du défi. » 

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